« Fairtrade, c’est bien plus qu’offrir un prix honnête aux agriculteurs du Sud », explique Nicolas Lambert, directeur de Fairtrade Belgium. « C’est une contribution structurelle à une plus grande justice sociale et écologique. Les producteurs sont des partenaires égaux, pas des œuvres caritatives. »
Texte : Sandra Gasten –photos : Douchka van Olphen
Fairtrade Belgium existe depuis trente ans. Avez-vous évolué en tant qu’organisation ?
« Depuis le début, nous faisons le lien entre le producteur, l’industrie et les chaînes de distribution. Ce qui nous rend unique, c’est que les producteurs eux-mêmes participent à la gestion de l’organisation : ils détiennent 50 % des voix au sein de l’assemblée générale et siègent au sein du conseil d’administration. »
« Nous ne les considérons pas comme des ‘victimes’, mais comme des partenaires égaux. Le point de vue des producteurs occupe une position centrale dans notre fonctionnement. Nous ne considérons pas toujours le développement durable de la même manière en Europe que dans les pays du Sud. Ce qui ne veut pas dire que ces deux visions sont inconciliables. »
Quelles sont ces différences en termes de vision ?
« Par exemple, en Occident, les entreprises veillent à ce que le travail des enfants soit évité dans la chaîne, à juste titre d’ailleurs. Mais, au Sud, lorsque les revenus d’un producteur sont insuffisants, il arrive qu’il n’ait pas les moyens d’envoyer ses enfants à l’école. »
« Il en va de même pour la déforestation : lorsqu’un fermier a besoin de davantage de terres car il est trop peu payé pour son produit, il cherchera de nouveaux domaines.. »
En marge d’un revenu décent, quels sont les autres domaines d’action auprès des producteurs ?
« Nous œuvrons par exemple en faveur de l’égalité des genres. Dans nombre de pays, les fermières gagnent beaucoup moins que leurs homologues masculins, ne sont souvent pas en mesure de posséder des terres et n’ont pas accès à des emprunts ou à des formations en agriculture. Des projets sont mis en place pour rétablir cet équilibre. »
Aucun changement écologique n’est possible sans justice sociale et un meilleur revenu pour les cultivateurs.
« Par exemple le programme Women’s School of Leadership en Côte d’Ivoire, où des femmes du secteur du cacao sont formées en leadership, ou les programmes liés aux conséquences du changement climatique. Les cultivateurs de café en Colombie ont récemment subi une importante perte de revenus après le passage des ouragans ETA et IOTA. Ces programmes visent à rendre les cultures plus résistantes et résilientes.. »
Environnement et commerce équitable sont donc liés ?
« Aucun changement écologique n’est possible sans justice sociale et un meilleur revenu pour les cultivateurs. Lorsque la première préoccupation du producteur est de nourrir au quotidien sa famille, l’écologie est relégué au second plan. Une approche structurelle est nécessaire : les aspects économiques, écologiques et sociaux doivent être pris en compte. »
« Cela ne concerne pas seulement les cultivateurs ou les ouvriers de plantations. Il est important de sensibiliser les consommateurs, d’aider à rendre les pratiques commerciales plus durables, et d’améliorer les réglementations à cette fin. »
« Du côté du producteur, les garanties économiques de Fairtrade permettent d’investir dans des méthodes de production plus durables. Les garanties de base sont le prix minimum Fairtrade, un prix sur lequel les producteurs peuvent compter et sous lequel il est impossible de descendre, même lorsque le prix du marché mondial est inférieur, et la Prime Fairtrade, un montant ajouté au prix, que les producteurs investissent dans leur coopérative ou communauté. Le prix minimum Fairtrade offre de la stabilité,de la sécurité aux producteurs, et la Prime est souvent utilisée pour acheter du matériel permettant une production plus durable ou pour suivre des formations. »
Quel est rôle peuvent jouer les pouvoirs publics?
« A travers les « Communes du commerce équitable » par exemple, ils peuvent jouer un rôle clé en achetant les produits Fairtrade ou, à un autre niveau en prenant des initiatives, comme la charte “Beyond Chocolate”, dans le cadre de laquelle un partenariat est conclu avec les acteurs de l’industrie du chocolat. Ils s’engagent à produire du chocolat belge durable, à lutter contre la déforestation et le travail des enfants et à offrir un prix honnête aux produits à base de cacao.
Le client choisit-il davantage de produits Fairtrade depuis la crise du coronavirus ?
« La vente de produits portant le label Fairtrade a pratiquement doublé ces quatre dernières années. Depuis la crise du coronavirus, la demande est même plus importante.. La demande croissante en produits locaux, durables et équitables conduit à une offre accrue en produits Fairtrade dans les magasins. Nous espérons que les choses vont continuer d’évoluer dans ce sens. »